Les logiciels tueurs de pub sèment la terreur sur Internet
Toute l’économie de la Toile est menacée par l’utilisation des bloqueurs de spots.
Des millions d’internautes excédés les installent sur leurs machines.
Les agences de pub qui travaillent sur le Net ont le trouillomètre à zéro. Les internautes se révoltent. Las des spots et des annonces intrusives qui surgissent au moindre clic sur leur moteur de recherche, ils s’équipent massivement de logiciels antipub, qui bloquent les réclames sur leur ordinateur. L’éditeur d’Adblock, le logiciel antipub le plus célèbre, déclare avoir franchi le cap des 100 millions d’utilisateurs actifs . A en croire de savantes études, ils seraient 200 millions sur la planète à recourir à ces tueurs d’affichage intempestif. Selon le CSA, 24 % des Français auraient déjà installé un bloqueur sur leur ordinateur et 14% auraient l’intention de s’en équiper. Selon l’Ifop, ce serait non pas 24 %, mais 30 % des Français. Qui dit mieux ?
Pas de pub, pas de thune
Ces petits logiciels empêchent les pubs de s’afficher , ce qui réduit la gêne pour l’internaute … mais réduit aussi à néant les revenus du site. Les bloqueurs sont une bénédiction pour les usagers du Net, mais un cauchemar pour les médias qui dépendent de la réclame. Désormais, il y a pire que de vivre sous la pression des annonceurs : ne plus avoir d’annonceurs du tout. Qui paiera pour passer de la pub si les internautes peuvent la bloquer ? Et, si la pub ne paie pas , combien de médias qui en dépendent vont s’écrouler?
Les études sont légion qui annoncent des chiffres catastrophiques. Le cabinet britannique Juniper Research en a publié une, le 12 mai, qui assure que les bloqueurs de pub pourraient entraîner 27 milliards de dollars de perte de revenus pour les sites Internet à l’horizon de 2020. Adobe et PageFair, en août 2015, estimaient que le blocage de la publicité coûterait 22 milliards de dollars aux éditeurs. Mais les cabinets d’études sont intéressés, puisque PageFair, par exemple, vend son expertise en matière de lutte contre les «adblockers». Le pire, pourtant, est à venir, car les moteurs de recherche eux-mêmes ont décidé d’intégrer des bloqueurs pour satisfaire l’usager. Google a mis en place ce filtrage via son navigateur Chrome. Apple a ajouté un logiciel bloqueur dans son système d’exploitation mobile iOS 9, et le navigateur Opera, le Petit Poucet des navigateurs Internet , propose désormais une vers ion grand public sans pub.
L’épée et l’armure
En représailles, les éditeurs de presse ont engagé une lutte à mort contre ces logiciels qui menacent de leur couper les vivres. En Allemagne, le groupe de presse Axel Springer a perdu, fin mai, un procès intenté à Adblock. «Bild», le tabloïd de Springcr, refuse l’accès aux internautes ayant un bloqueur. Pour le consulter , ceux-ci doivent soit désactiver le logiciel, soit payer un abonnement sans pub.
Le 21 mars, des titres de la presse française, réunis sous l’égide du Geste (syndicat des éditeurs de contenus et de services en ligne), ont lancé une grande campagne contre Adblock et les autres bloqueurs , en interdisant leur site à ceux qui suppriment la publicité («Le Figaro») ou en publiant de grands encarts qui invitent à payer un abonnement («Le Monde», «L’Equipe», «Le Parisien», «Les Echos», «L’Express»).
Le but: convaincre que la pub est nécessaire pour faire vivre les sites et persuader que les adblockers ne sont pas des philanthropes, certains d’entre eux laissant passer des pubs contre rétribution. Les résultats de cette campagne sont faibles. Seul le site de «L’Equipe» dépasserait les 50 % d’internautes ayant abandonné ces bloqueurs . Quant à l’éducation des masses, elle est aléatoire : 4 % des internautes, seulement, se disent prêts à payer pour éviter la pub.
L’utilisation grandissante des adblockers pousse surtout l’industrie
publicitaire à ne plus se croire tout permis pour gaver l’internaute de ses réclames intempestives. Les pubards doivent cesser de débloquer.
Une gageure?
Jean-Michel Thénard
Source: Canard enchaîné, 1er juin 2016 / PDF